Donation (2021) des Amis des Musées d'art et d'histoire au Lëtzebuerg City Museum
En imprimant des dizaines de photographies de New York en couleurs négatives, assemblées ensuite en petites maquettes, puis re-photographiées en studio sur film positif couleur, avant d’être tirées sur papier négatif couleur ; Baptiste Rabichon obtient des images étranges, où positif et négatif s’entremêlent. D’étranges scènes où le décor (maquettes en papier) semble plus « réaliste » que ce qui l’habite (objets, modèle vivant...).
C’est à travers le prisme de cette friction où image et réalité paraissent se confondre qu’il s’attelle à construire de nouvelles images possibles de New York, ville du XXe siècle par excellence. S’y côtoient aussi bien l’image qu’il s’en est fait par le cinéma, la photographie, la littérature, la musique (mises en scène faisant référence plus ou moins explicitement à des films comme King Kong et Metropolis ou au travail de Berenice Abbott par exemple) que ce qu’il en a réellement rapporté (les décors sont intégralement construits avec des photographies prises sur place lors des séjours que Baptiste Rabichon a pu faire à Manhattan).
Ou comment, à travers cette nouvelle technique photographique (qu’il a mise au point pour palier la disparition du célèbre papier Cibachrome), tenter, dans une histoire aussi vaste que celle de la photographie new-yorkaise, d’inscrire un nouveau travail sur cette ville si fantasmée, à la fois réelle et image d’elle-même.
Visuel : Manhattan Papers 30, 2021 Editon 1 of 3 - C-print - 77 x 106 cm
Lost Levels
Baptiste Rabichon a composé ses collages numériques en avalant des milliers d’image d’archives et en jouant à des centaines de jeux vidéo, tous crées entre 1980 et 1997. Surtout, avec une curiosité intarissable pour l photographie, qu’il ne cesse de mettre à l’épreuve depuis son diplômé à l’école de Fresnay en 2017. « La photographie sous-tend le jeu vidéo. Pour créer ses décors, le créateur de street Fighter, par exemple, a fait du tourisme dans e monde entier pour photographier les endroits qu’il trouvait beaux. “ Ces univers s’avèrent parfaitement inhabités si ce n’est la présence d’un minuscule personnage qui se débat, de tableau en tableau, avec l’enferment. L’artiste s’est lui-même mis en scène, photographié puis incrusté dans la trame, moins comme une coquetterie d’auteur que pour montrer qu’une image, c’est d’abord “ un enregistrement de phénomène concrets, » perméable au contexte de production : « J’ai commencé cette série pendant le premier confinement, coincé dans 15m2, complètement perdu dans la virtualité. Tu fins par te dire que le monde n’est qu’informations et que tu n’es toi-même qu’un petit morceau de code dans une grande bouille de données. » Une fascination inquiète que suscite aussi le jeu vidéo, ce médium de fin millénaire aux « moyen dérisoires et à l’inventivité dingue » : “ il y a une folie mêlée à a la violence dans l’esthétique et les thèmes abordés par ces jeux, quelques choses d’un peu crasseux qui est étonnant pour un produit destiné à des gamins. »
Lost Levels appartient à un projet au titre aussi sobre qu’encyclopédique : XXe siècle. Baptiste Rabichon y déploie son exploration des techniques de reproduction antérieurs au numérique, d’abord à travers des « trompe-l’œil de toiles abstraites » – soit des peintures sur verres agrandisses et projetées sur du papier photosensible.
Une autre série déplie un Manhattan en carton que l’artiste a recomposé à partir des photographies qu’il en a ramenées. Li s’y met cette fois monumentalement en scène en « Dieu vengeur qui viendrait raser Babylone » dans un atmosphère nanardesque mêlant celles de King Kong, d’American Psycho et des films noirs des années 1950. Une manière de refermer, avec tendresse et dérision, un siècle obsédé par la mise en image d’un monde toujours plus complexe, mais qui reste bouffi de manichéisme.